« C’est un beau jour de mai.
Mais pour aller me promener, je ferais tout de
même mieux de prendre mon blouson. La maladie m’a rendu un peu frileux. Ou
plutôt, j’ai du mal à ressentir à nouveau la chaleur depuis que j’ai quitté l’hôpital.
Je déambule, au gré de mon envie dans les rues
de la ville. Le soleil radieux illumine les murs de pierre blanche des
immeubles du trottoir opposé qui en deviennent presque jaunes, ainsi envahis de
rayons dorés. Rien à voir avec les murs intérieurs de l’hôpital, qui ne
brillent jamais et restent immaculés, renvoyant inlassablement toutes les
couleurs sans jamais en absorber aucune.
J’approche d’une école primaire du centre
ville. Je peux l’entendre sans la voir, les cris des enfants m’y guident. Je l’aperçois
finalement : derrière une grille, aussi rapides que de petites fusées, ils
rient et jouent, certains à chat ou d’autres choses comme ça, les plus grands s’échangent
des cartes. Ils ressemblent à n’importe quels enfants, en somme. Hormis ceux de
l’hôpital qui ne sourient pas et ne sont même pas vivants, trop sérieux et
graves pour s’encanailler de la sorte.
À cette heure plutôt matinale, je ne croise
que quelques chanceux inoccupés, qui profitent comme moi du beau temps pour
flâner tranquillement. Sur les bords de Loire, des couples, des chiens et leurs
maîtres, des retraités, des joggeurs ,
des familles me croisent. Si eux ne font pas attention à moi, de mon côté je
les observe à bonne distance. Leurs visages pour la plupart apaisés, détendus
même, me surprennent. J’avais oublié à quoi ressemblait le bonheur. Tout le
monde oublie dans l’aile d’oncologie.
Je quitte le calme des quais, à peine perturbé
par le bruit du lent écoulement de l’eau, et retourne au cœur de la ville. Il y
règne une agitation sonore invisible, qui provient de l’intérieur des cafés et
des appartements aux fenêtres ouvertes. Ici non plus, personne ne semble faire
attention à moi. Ça me change des regards inquiets et des sanglots refoulés que
j’ai du faire semblant de ne pas voir ces mois dernier. Presque tous, se
croyant certainement invulnérables, semblent s’être cloitrés, ne laissant s’échapper
jusqu’à mes oreilles que la rumeur impalpable de leur vie. Cela me semble irréel
tant j’avais moi-même pris pour habitude d’écouter le monde de derrière ma
fenêtre, chambre 315, lieu empli d’un silence de mort.
Planté debout en plein centre d’une place au
sol pavé, je laisse l’air agréablement frais, si léger, me traverser de part en
part. De plus en plus. Pourquoi ces rayons de soleil ne me réchauffent-ils
pas ? Je n’ai pas ma veste. J’ai dû l’oublier ou l’égarer quelque part. Je ne
me souviens même pas être parti avec de l’hôpital. Ce n’est pas grave, j’avais
de toute façon tellement l’impression d’étouffer, ces derniers jours.
Heureusement qu’ils m’ont laissé partir ce
matin. Ils avaient l’air si tristes, pourtant. J’aurai aimé qu’ils comprennent
que je suis mieux ici, avec l’air qui me traverse et le bruit des gens autour de moi, surtout par un si beau jour
de mai. »
Texte sous licence Creative Commons (By SA).
J'ai écrit ce court récit il y a 2 ans, et je suis tombée dessus tout à fait par hasard hier soir. Comme c'est assez rare que je supporte de me relire, que ce texte-ci ne me donne pas tout à fait envie de le déchirer et de le jeter au feu, je me suis dit qu'il ferait un article sympa en attendant de pouvoir recommencer à publier normalement.
Vos avis sont les bienvenus. :)
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